Né le 20 février 1906 et mort le 12 mars 1982
à Carcassonne (Aude). Connu pour son œuvre culturelle
diverse et abondante : poète en occitan et en français
; essayiste ayant abordé aussi bien la philosophie que l'érotique,
l'ésotérisme et le politique ; critique littéraire
et artistique ; historien des lettres et des idées ; historien
du catharisme et du Languedoc ; archéologue ; ethnologue ;
anthologiste de la littérature occitane ; éditeur de
textes rares ; traducteur ; fondateur de revues ; peintre ; journaliste.
Professeur de lycée et d’université. Occitaniste,
créateur de l’Institut d’Estudis Occitans. Homme
de gauche, anticolonialiste, membre de la Nouvelle Gauche, de l’UGS
et du PSU dans l’Aude, conseiller municipal de Carcassonne de
1941 à 1944 puis de 1959 à 1965. Syndicaliste au SNES.
Inscrit sur le registre des Citoyens du monde.
René Nelli naquit le 20 février
1906 à Carcassonne. Son père, Léon Nelli (1864-1934),
architecte et peintre, avait de lointaines origines italiennes. Sa
mère, Louise Constance Beurienne, était parisienne.
Elle mourut alors que René n’avait que dix ans. Son père
se remaria avec Marguerite Descard. À la fin de ses études
au Lycée de Carcassonne, son professeur de philosophie, Claude-Louis
Estève, le mit en contact avec Joë Bousquet, le poète
grabataire. En janvier 1928, il fonda avec ce dernier la revue Chantiers.
À l’hypokhâgne du lycée Louis-le-Grand,
entre 1924 et 1927, il côtoya Roger Vailland et, par la suite,
fit la connaissance des écrivains surréalistes André
Breton et Paul Éluard au moment où ils adhérèrent
au Parti communiste.
Il effectua son service militaire en 1930-1931, à Hyères
(Var), puis à Toulouse où il découvrit la revue
Oc et la Société d’études occitanes.
Louis Alibert, linguiste qui précisa la norme classique de
l’occitan, le fit adhérer en 1935 à la SEO et
au Félibrige. Pendant l’été 1931, il enseigna
la littérature française à l’Institut français
de Zagreb en Yougoslavie. Le 30 octobre 1931, il obtint un poste de
professeur à Maubeuge (Nord). Dès 1933, il collaborait
aux Cahiers du Sud tout en continuant à écrire
pour Oc. À la rentrée 1934, il fut nommé
professeur de collège à Castelnaudary. Lié à
Maurice Sarraut, fils de l’ancien maire radical-socialiste de
Carcassonne Omer Sarraut, il devint correspondant local du journal
La Dépêche. À la demande de Jean Mistler,
ministre et député radical socialiste de l’Aude,
il fut candidat aux municipales en 1935. Au second tour, une liste
d'union fut constituée, sur laquelle on raya neuf radicaux,
dont Nelli, au profit de neuf socialistes. En juillet 1936, il fut
nommé professeur de grammaire au lycée de garçons
de Carcassonne. En 1938, il fonda la revue Folklore qu’il
dirigea jusqu’en 1977. Le 4 septembre 1939, mobilisé
au 343e RI en tant que sergent, il rejoignit le front des Alpes et
fut démobilisé le 27 juillet 1940.
Il reprit son poste au lycée de Carcassonne. L’année
1941, il fonda la revue Pyrénées et fut nommé
conseiller municipal de Carcassonne et adjoint au maire. Nelli était
un notable carcassonnais très proche des occitanistes maurassiens
Louis Alibert et Ismaël Girard, ainsi que du Félibrige,
et il connaissait les frères Sarraut et Jean Mistler, trois
parlementaires qui avaient voté les pleins pouvoirs à
Pétain. Il n’est pas exclu d’envisager un penchant
maréchaliste de Nelli au début de la guerre, penchant
fréquent dans le mouvement occitan, mais très vite il
prit ses distances avec le régime, ne serait-ce que par sa
proximité avec Joe Bousquet dont la maison fut un lieu de la
résistance intellectuelle. Nelli, lui-même, accusé
d’être sympathisant gaulliste, fut inquiété
par la police de Vichy en juillet 1941. À la fin de l’année
1941, il fut convoqué à la préfecture de Toulouse,
dénoncé pour menées séparatistes par certains
occitanistes maurassiens. La presse collaboratrice le cita même
parmi les intellectuels résistants de Carcassonne en mars 1944.
En 1943, Nelli prit la présidence de la SEO. Il fut, la même
année, le maître d’œuvre du numéro
spécial des Cahiers du Sud, Le Génie d’Oc
et l’homme méditerranéen. Ce numéro,
préparé depuis 1935, fut un véritable affront
à l’idéologie de l’occupant et des collaborateurs.
Le Midi Libre du samedi 14 octobre 1944 le considérait
comme un des résistants du lycée.
À la libération de Carcassonne, le 21 août 1944,
il fut rédacteur au Patriote du Sud-Ouest, l’organe
des groupes de résistants communistes FTFP. Nelli fut aussi
le secrétaire du comité des intellectuels audois, présidé
par Joe Bousquet. Le 10 novembre 1944, Nelli fut délégué
pour enseigner la philosophie au lycée de Carcassonne. L’année
suivante, il se reconnaissait philosophiquement marxiste. Le 25 janvier
1945, il participa à la création de l’Institut
d’Estudis Occitans avec Jean Cassou, Tristan Tzara, Ismaël
Girard et Max Roqueta. L’IEO était proche du PCF, même
si certains des fondateurs de l’IEO, liés au mouvement
« Libérer et fédérer », reprenaient
les idées fédéralistes de C. Camproux, idées
qui se retrouvaient dans le journal auquel collaborait Nelli, l’Ase
negre créé en août 1946. Nelli avait en charge
Les Annales de l’Institut – revue semestrielle
- et la revue trimestrielle Oc. Nelli se maria le 30 octobre
1945 avec Marcelle Suzette Ramon, professeure née le 20 avril
1918 à Castelnaudary. En 1946, il fut chargé d’un
cours d’ethnographie à l’Université de Toulouse,
cours qu’il assura jusqu’en 1974. De 1947 à 1963,
il fut aussi conservateur du musée des Beaux-arts de Carcassonne.
En 1950, Nelli demanda son inscription comme Citoyen du monde. Il
s’agissait d’un acte qui montrait son éloignement
du PCF. Dans ses lettres à Robert Lafont, il indiquait son
opposition à la mainmise du PCF sur l’IEO et s’affirmait
de plus en plus fédéraliste. Selon André Hérault,
il adhéra à l’Union progressiste, puis à
la Nouvelle Gauche lors de sa formation à Carcassonne en novembre
1955 et, fin 1957, à l’Union de la Gauche socialiste.
L’UGS s’allia au cartel électoral de l’Union
des forces démocratiques lors des législatives de 1958.
René Nelli se présenta aux élections municipales
de Carcassonne des 8 et 15 mars 1959 sur une liste UFD. La liste socialiste
arriva en tête. Pour le second tour, grâce à la
fusion des listes SFIO, UFD et communiste, deux UFD furent élus,
dont René Nelli. Pour André Melliet, ancien responsable
du PSU dans l’Aude, il rejoignit le PSU bien après la
création du parti le 3 avril 1960 et le quitta bien avant 1970.
Nelli fut candidat du PSU au poste de conseiller général
du canton de Mouthoumet (Aude), le 3 décembre 1961, à
la suite du décès du conseiller général
socialiste. René Nelli, conseiller municipal de Carcassonne
sous Vichy, fut taxé de collaborateur par Joseph Baro, candidat
socialiste, maire de Termes. Baro fut élu au premier tour avec
594 voix, Nelli n’ayant que 185 suffrages. Cet engagement dans
la deuxième gauche était lié à son opposition
au colonialisme et à la guerre d’Algérie en particulier.
En avril 1956, dans sa préface du livre de Georges-Henri Guiraud,
Aux Frontières de l’Enfer, il dénonça
en Algérie la « barbarie colonialiste », «
le sadisme abominable » et « les méthodes impitoyables
». La section SNES du lycée, à laquelle appartenait
Nelli, prit une position très ferme en octobre 1961 «
contre les attentats perpétrés par les organisations
fascistes », après que l’OAS eut visé le
secrétaire académique du SNES, Pierre Antonini. Le 4
juillet 1962, Nelli l’anticolonialiste avait atteint un de ces
buts. Le 27 avril 1963, ayant soutenu une thèse sur l’érotique
des troubadours, il devient Docteur ès Lettres.
Son évolution fut identique pour l’occitanisme. À
la Libération, l’IEO était un mouvement culturel
dans un cadre étatique français, ce que défendront
toujours Félix Castan et la revue Oc. Lafont situait
la rupture entre les « culturalistes » et les «
politiques » à la fin 1954. Nelli ne signa pas la déclaration
de Nérac, celle des culturalistes, en novembre 1956 et approuva
un manifeste nationaliste lancé par Pierre Bec et François
Fontan, fondateur, en 1959, du Parti Nationaliste Occitan. L’évolution
de l’IEO vers une prise en charge des combats économiques
s’effectua à la suite des grèves des mineurs de
Decazeville-La Sala. En 1962, Robert Lafont et une partie de l’IEO
créèrent le Comité occitan d’études
et d’action (COEA). Nelli était alors perçu comme
proche du COEA. Robert Lafont, bien longtemps après sa mort,
a regretté qu’il « manqua le rendez-vous que son
siècle lui tendait en mai 1968. » La rupture avec Robert
Lafont s’accentua dans les années soixante-dix et leur
correspondance devint de plus en plus agressive. Dès 1972,
en préface d’un de ses ouvrages, Nelli plaida pour l’action
culturelle. Dans L’Histoire du Languedoc, en 1974,
Nelli critiqua la pensée de Lafont. Il critiqua aussi la tentative
de candidature de Lafont aux élections présidentielles
de 1974 : « Un occitaniste [...] eut le courage de braver le
ridicule et de présenter sa candidature. » Nelli s’inquiétait
des attentats occitanistes et des incendies de résidences secondaires
appartenant à des Parisiens : « Cette explosion de racisme
haineux [...] étonne au pays des troubadours et de la tolérance.
»
Joan Larzac a défini ce qui a animé la pensée
de Nelli la dernière décennie de sa vie : « [Chez
lui] perce un nationalisme qui n’est pas utopique et nostalgique.
[...] Flirtant avec le Parti Communiste d’un côté,
avec le Parti Nationaliste Occitan de l’autre, il verrait bien
une fédération occitane à l’intérieur
de la France. » Nelli n’a jamais renié sa fascination
pour Fontan dans les années cinquante et il semblait très
proche du PNO, du moins entre 1967 et 1970. En 1974, dans L’Histoire
du Languedoc, il louait le PNO d’avoir « clarifié
une fois pour toutes [...] le concept de nation ». Dans les
années 70, Nelli se rapprocha du PCF. Cet appui à la
gauche fut critique et il n’hésita pas à reprocher
le centralisme, prenant comme modèle la Commune de Narbonne
et le socialisme fédéraliste. Le 4 juin 1978, à
la fête communiste de Coursan dans l’Aude, il participa
à un débat « Vivre et travailler au pays ».
La même année, dans Mais, enfin qu’est-ce que
l’Occitanie ? il s’affirma très proche du
PCF : « La position du Parti Communiste français –
assez proche de celle du parti socialiste – me paraît,
cependant, [...] plus nuancée, plus prudente, plus concrète,
et, aussi, plus fidèle à l’esprit du marxisme
révolutionnaire. » Il rejoignit l’idée,
pourtant en contradiction avec celles sur le PNO, que la libération
des peuples minoritaires ne pouvait se faire qu’après
la révolution socialiste.
L’homme politique, dans ses engagements
à gauche et dans le mouvement occitan, ne fut pas exempt de
contradictions, la première étant son rôle pendant
le régime de Vichy. Il fut en premier ouvert au monde, refusant
tout racisme d’où son inscription comme citoyen du monde,
sa lutte contre le colonialisme et sa défense des travailleurs
immigrés en Occitanie. C’était un homme de gauche
fédéraliste, non pas seulement pour l’Occitanie
mais aussi pour l’Europe et pour le monde. Il fustigea l’esprit
jacobin qui, pour lui, n’avait pas de place à gauche.
« Hérétique », il fut antistalinien quand
les communistes étaient majoritaires à l’IEO,
il s’opposa au régionalisme de Lafont quand il était
isolé dans ses analyses, il parla de nationalisme quand celui-ci
était décrié. Il fit preuve d’un profond
humanisme que tous les hommages après sa mort soulignèrent.
Décorations et honneurs : mestre en
Gai Sabé (1943) ; officier dans l’ordre des palmes académiques
(1953) ; chevalier de la légion d’honneur (1955) ; chevalier
du mérite agricole (1961) ; officier des Arts et Lettres (1979).
Quelques œuvres : Le Languedoc et
le Comté de Foix, le Roussillon, Gallimard, 1958 ; Les
Troubadours. Desclee de Brower, 1960-1965, (2 volumes) ; L'Érotique
des troubadours, Privat, 1963 et 10/18 (2 tomes), 1974 ; Le
Roman de Flamenca, un art d'aimer occitanien au XIIIe siècle,
IEO, 1966 ; La Vie quotidienne des Cathares du Languedoc au XIIIe
siècle, Hachette, 1969 ; La Poésie occitane,
Seghers, 1972 ; Histoire du Languedoc, Hachette Littérature,
1974 ; La Philosophie du catharisme, Payot, 1975 ; Écrivains
anticonformistes du moyen-âge occitan, Phébus, 1977,
(2 volumes) ; Mais, enfin qu’est-ce que l’Occitanie
?, Privat, 1978 ; Obra poética occitana (1940-1980),
IEO, 1981 ; Écritures cathares. Recueil des textes cathares,
Monaco, Éd. du Rocher, 1994.
Sources : Archives Départementales de
l’Aude. Fonds Nelli : 10 JJ 6, 10 JJ 21, 10 JJ 236, 10 JJ 237
; ADA 10 W 30 : surveillance politique 1940-1945. Dossier Nelli 1941
; CIRDOC. Archives R. Lafont. Courrier de R. Nelli ; DBMO ; OC,
XIIIe Tièira n° 11, avril 1989, n° 20, juillet 1991
; La Dépêche des 6 et 13 mai 1935. La Dépêche
du Midi du 5 octobre 1961, du lundi 27 janvier 1975, du vendredi
12 mars 1982 ; Occitania, nòva seria, n°4, junh
de 1948 ; L’Ase negre, n° 1, août 1946 ;
Les Cahiers du sud, n° 381, 1965 ; Viure, n°
3 automne 1965, n° 29, automne 1972 ; Je suis partout
n° 659 du 31 mars 1944 ; Le Midi Libre du 14 octobre
1944 ; Le Midi Libre, le journal de l’Aude du 12 mars
1982 ; Peuple d’Aude, mensuel édité par
la fédération de l’Aude du PCF, n° 4, mai
1978 ; L’Occitan, periodic de la vida occitana, n°
38, mai-juin 1982 ; Lo Gai Saber, n° 407, juillet 1982,
n° 502-503, automne 2006 ; Vent Terral n° 10, été
1983 ; ARMENGAUD, André, LAFONT, Robert, (dir.) Histoire
d’Occitanie, Paris, Hachette-IEO, 1979 ; LAFONT, Robert,
ANATOLE, Christian, Nouvelle Histoire de la littérature
occitane, tome II, Nîmes, PUF-IEO, 1971 ; LAFONT, Robert,
La Revendication occitane, Paris, Flammarion, 1974 ; ALCOUFFE,
A., LAGARDE, P., LAFONT, R., Pour l’Occitanie, Toulouse,
Privat, 1979 ; NELLI, René, Pierre Sire, « Pierre
Sire et les intellectuels », Carcassonne, Comité des
intellectuels de l’Aude en hommage à son fondateur, 1946
; NELLI, René, La Poésie occitane, Paris, Seghers,
1972 ; NELLI, René, Histoire du Languedoc, Paris,
Hachette Littérature, 1974 ; NELLI, René, Mais,
enfin qu’est-ce que l’Occitanie ?, Toulouse, Privat,
1978 ; Hommage à René Nelli, Carcassonne, Bibliothèque
municipale et Cido, novembre 1980, brochure non paginée ; GUIRAUD,
Georges-Henri, Aux Frontières de l’Enfer, Paris,
La Nef, 1956 ; MAURY, Lucien, La Résistance audoise,
tome I, Quillan, imprimerie nouvelle, 1980 ; LENOBLE, Jean, Le
Parti socialiste dans l’Aude, de la Libération à
la fin du XXe siècle, tome II, 1958-1973, Villelongue-d’Aude,
Atelier du gué, 2007 ; Centre d’Études Cathares
René Nelli, ChroniqueNelli n° 1, 2008, BARDOU,
Franc, « Qui était Nelli ? », http://cecnelli.unblog.fr.
; Septimanie, n° 6, février 2001 ; René
Nelli (1906-1982) Actes du colloque de Toulouse (6 et 7 décembre
1985) réunis par Christian Anatole, Béziers Cido, 1986
; entrevue par téléphone avec André Melliet,
ancien responsable du PSU dans l’Aude, vendredi 3 septembre
2010.
Miquèl RUQUET